Sujet :

Une femme pas comme les autres.

tagynette
   Posté le 02-07-2007 à 02:45:13   

salam alaykoum wa rahmatoullah wa barakatouh

Bismillah Ar Rahmane ar Rahim



Par un après-midi, un homme se promenait dans le marché, et alors que le muezzin
commençait l'appel à la prière, son regard se posa sur le dos d’une femme. Bien
que vêtue d’un noir excessif, elle était étrangement attirante, un voile
recouvrait sa tête et son visage, et elle se tournait maintenant vers lui comme
si d’une certaine façon elle était consciente de son regard intensément
prolongé. Elle lui indiqua d’un signe léger mais significatif son assentiment
avant de tourner dans la ruelle des vendeurs de soie.

Comme foudroyé par un éclair, l'homme fut irrémédiablement attiré, son coeur
désormais prisonnier de ce regard, pour toujours. En vain, il lutta, en offrant
à son coeur de multiples raisons saines de passer son chemin—n’était-ce pas
l’heure de la prière ?— mais c’était fini : il n’y avait rien d’autre à faire
que de se laisser entraîner.

Il pressait le pas dans sa direction, tournant vers le marché de la soie, tout
haletant de l’effort qu’il devait fournir pour la rattrapper. Elle l’avait
inopinément distancé et s’attardait maintenant pour un moment à l’extrémité du
marché, à plusieurs magasins de distance. Elle se tourna vers lui, et il crut
apercevoir la lueur d’un malicieux sourire transpercer la mousseline noire de
son voile, comme si une fois de plus –était-ce son imagination ?– elle lui
faisait un signe.

Le pauvre homme ne savait plus quoi penser. Qui était-elle ? La fille d’une
famille aisée ? Que voulait-elle ? Il pressait à nouveau le pas, tournant et
s’engageant dans la ruelle où elle avait disparu. Ainsi elle le menait, toujours
hors de portée, toujours cruellement en tête, à présent à travers le marché
d’armes, puis les marchands d’huile, puis les vendeurs de cuirs ; s’éloignant
toujours davantage du point où ils avaient commencé. Le sentiment qui l’animait,
plutôt que de s’estomper, s’accentuait : était-elle folle ? Inlassablement elle
menait, jusqu’aux frontières de la ville.

Le soleil déclina et se coucha, et ainsi se présentait-elle, là, devant lui,
comme toujours. Ils avaient à présent parcouru toutes les places de la ville
pour se retrouver près de la Cité des Tombeaux. S’il avait eu toute sa raison,
il aurait été effrayé, mais en fait, à ce moment précis, il réfléchissait, sur
les endroits étranges aperçus au cours de son périple amoureux.

Il n’y avait plus guère que vingt coudées entre eux, lorsqu’il aperçut le regard
qu’elle jeta en arrière, et comme pour commencer, elle s’engagea dans des
escaliers en s’engouffrant par la grande porte en bronze de ce qui semblait être
un très vieux sépulcre. L’espace de quelques secondes aurait pu laisser
transparaître une hésitation, mais en l’état présent des choses il n’y avait
plus de point de retour, il descendit les escaliers, en se faufilant derrière
elle.

À l’intérieur, alors que ses yeux commençaient à distinguer les formes, il
aperçut deux volées d’escaliers qui menaient à une seconde porte, d’où
jaillissait une lumière, et qu’il traversa également. Il se retrouva dans une
grande pièce, insoupçonnée du monde extérieur, éclairée par des chandelles
accrochées aux murs. A l’opposé de la porte sur un lit de somptueuses étoffes,
la femme toujours voilée pris place dans son vêtement entièrement noir, en
s’adossant sur un oreiller contre le mur du fond. A droite du lit, l’homme
remarqua un puits à même le sol.

« Verrouille la porte derrière toi », dit-elle tout bas, d’une voix rauque qui
semblait davantage être un murmure, « et prend la clé ».
Il fit comme elle dit. Elle désigna négligemment le puits.
« Jette-la à l’intérieur »
Un éclair de lucidité sembla pénétrer l’espace d’un moment les nuages brumeux de
sa compréhension, et un spectateur, s’il y en avait eu un, aurait décelé la plus
légère des hésitations.
« Vas-y », dit-elle en riant, « tu n’as pas hésité à manquer la prière tout
occupé que tu étais à me suivre jusqu’ici, n’est-ce pas ? »

Il ne dit mot.
« Le temps pour la prière du coucher du soleil s’est presque achevé aussi »,
dit-elle d’un ton légèrement moqueur. « Pourquoi s’inquiéter ? Allons donc,
jette-la. Tu veux me satisfaire, n’est-ce pas ? »

Il étendit son bras au-dessus de l’ouverture du puits, et regarda la clé tomber.
Un sentiment troublant remonta du creux de son ventre alors que le temps
s’écoulait et qu’aucun bruit ne jaillissait du puits. Il sentit émerveillement,
puis horreur, puis compréhension.

« Il est temps de me voir » dit-elle, et elle souleva son voile qui laissa
apparaître non pas le visage d’une jeune et pétillante femme, mais celui d’une
vieille femme hideuse, ne reflétant que noirceur et vice, pas la moindre
particule de lumière ne se dégageant de ses traits vieillis.

« Regarde-moi bien » dit-elle. « Mon nom est Dounya, ce bas-monde. Je suis ta
bien-aimée. Tu as passé ton temps à courir après moi, et maintenant tu m’as
rattrapée. Dans ta tombe. Bienvenu, bienvenu.»

A ces mots elle rit et rit encore, jusqu'à ce que les secousses de son rire
laissent place à un monticule de poussières fines aux ombres changeantes, les
chandelles s’éclipsant les unes après les autres, laissant place à l’obscurité.



MMIV © Nuh Ha Mim Keller
En remerciant notre frère Sajjad pour la traduction de cette histoire de Shaykh
Nuh Keller sur la valeur de la dunya .
Qu'Allah le récompense et l'illumine amin
Puisse Allah nous permettre d'en retirer les meilleurs enseignements amin




salam alaykoum wa rahmatoullah wa barakatouh